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Zemlya - земля

17 janvier 2009

Les villes vertes

Découvrez une vision des forêts urbaines russes avec La Ville Verte, publié dans la revue Regard Sur l'Est, dans le cadre du Dossier #50 : "Ecologie à l'Est"

- Sur la toile avec [  http://www.regard-est.com ],

- En PDF, [ RSE___La_Ville_Verte ]

Remerciements à Eric LE BOURHIS.

 

La forêt russe, une ville verte 
Dossier : "Ecologie à l'Est" 

Par Antoine CASTAIGNE* 
Le 15/01/2009 

Moscou est une vaste forêt. Des collines aux rivages boisés de la rivière Moskova, des profondeurs des sous-bois au couvert végétal de la ceinture des boulevards, la nature est partout.

 

 

 

 

Moscou, à l’intérieur de la MKAD[1], a une surface de 1.081 km², dont 450 km² d’espaces verts (une constellation verte de 96 parcs, 18 jardins dont 4 botaniques) et plus de 100 km² de forêts mixtes. Reliés aux systèmes des transports, parcourus de sentes minuscules, ces territoires forestiers ne sont en rien le fruit du hasard mais la concrétisation de théories et de réflexions menées dès le début des années 1920.

Les cités-jardins

Dans une Russie encore très rurale, la cité-jardin est, après la révolution, une perspective d’évolution vers une planification et un urbanisme modernes. Si la cité-jardin est souvent perçue comme un héritage anglais, le hameau traditionnel russe (possiolok) avec ses allées d’arbres, ses sentiers et ses izbas tapies avec leurs potagers derrière des clôtures de bois, est également un modèle culturel important.

Dans un climat de guerre civile, la planification de la Moscou post-révolutionnaire tente d’esquisser le visage de la ville idéale pour le citoyen soviétique. Pour faire face à une terrible crise du logement, la destruction des anciens styles de vie -remplacés par le collectivisme- impose la mise en place de solutions «transitoires» comme la réquisition des appartements communautaires et la création de cités- jardins expérimentales, puis aboutit à la notion de maisons communes.
Dès 1920, Ivan Kremniov propose une ville «nature-agriculture»: Moscou pourrait alors devenir un bourg agricole structuré par un système de jardins, de terres cultivables et de pâturages. Puis, entre 1921 et 1924, Sergueï Chestakov étudie un schéma de développement pour le Grand Moscou dont l’idée est d’alterner des zones de constructions et des bandes radiales végétales reliées par un anneau de verdure extérieur.
En 1923, avec des parcelles de 900 m² et 45% d’espaces vert (ainsi que deux tiers de maisons types), le lancement de la cité-jardin coopérative «Sokol» («Faucon») pose les bases d’une relation harmonieuse entre l’homme et la nature.
Durant au moins toutes les années 1920, c’est même la Russie tout entière qui édifie des immeubles d’habitations de quatre étages, à la poursuite de ce rêve de la cité-jardin.

Les maisons communes

Toutefois, dans la collectivisation des modes de vie, c’est la Maison commune qui doit être l’élément moteur d’une véritable vision prospective du développement harmonieux du rapport entre la ville et la nature.

L’architecture prolétaire devait faire de l’Homme nouveau un ouvrier modèle en phase avec le monde des machines. Des expériences radicales firent leur apparition avec des réflexions sur les systèmes de vie en collectivité. Des vaisseaux compacts et rationnels devraient accueillir entre 1.000 et 2.000 personnes, avec une hiérarchisation des espaces privés (des chambres-cabines dédiées au sommeil) et collectifs (réfectoire, études, loisirs variés, jardins). Dès l’aube, les ordres transmis par radio imposent un rythme de vie lui aussi standardisé. Ce système matriciel de promiscuité forcée atteint rapidement ses limites sociales et les bâtiments seront par la suite transformés en résidences pour étudiants ou occupés par l’administration.

L’utopie de l’urbanisation rêve qu’en moins de vingt ans, la «table rase» des villes du passé serait effectuée. Édifiée par Léonid Sabsovitch, économiste et statisticien, l’approche est fondée sur la distribution des populations sur le territoire selon trois fonctions: produire, habiter, cultiver. Des villes décentrées de vingt maisons communes forment des noyaux compacts satellisés autour de gigantesques unités de production agricole, desservies par les moyens de transport et de communication ultramodernes. Ce nouvel habitat libérerait l’homme du culte des choses. Ainsi la notion de rue serait anéantie pour faire place à un espace vert d’où émergeraient des immeubles de 15 à 29 niveaux régnant sur la cime des arbres…[2]
Les projets des années 1930, réalisés ou non, qui voient l’homme collectivisé tout en laissant une grande place au vert, influenceront grandement la culture urbaine russe et moscovite. Ces années fertiles font émerger trois principaux courants conceptuels: l’urbanisation, mais aussi le désurbanisme et les villes linéaires.

Le Grand Moscou, une ville verte? 

Plus qu'une cité-jardin, une ville agricole ou une urbanisation champêtre, le désurbanisme est en rupture avec l'idée des maisons communes et de la vie minutée. En collaboration avec des architectes, un système ouvert est imaginé par Mikhaïl Okhitovitch, économiste et philosophe: selon lui, l'établissement humain est une entité mobile basée sur un système évolué de communications plutôt qu'une simple concentration de gens. Sa ville est partout et nulle part et utilise des énergies telles que le vent et le soleil. Par une dématérialisation de l’habitat, le désurbanisme doit conduire le nouvel homme soviétique à une désédentarisation complète dans une ville verte parsemée de structures habitables d’un genre nouveau. Sous la forme de structures préfabriquées légères, les maisons mobiles et démontables devraient libérer le sol de ville pour permettre une mobilité totale dans l'espace-temps.

Dans cette logique, l’architecte Moïse Guinzbourg travaille à l’idée de la «ville verte», un projet à 30 km situé au nord de Moscou et conçu comme une ville forestière expérimentale. En 1930, pour Guinzsbourg alors associé à l’architecte Mikhaïl Bartch, ce projet de ville verte permet de déplacer progressivement les habitants du centre vers la périphérie. C’est une ville-loisir au tracé souple qui libère le centre ville, rénové pour devenir un immense parc.
Non construite, la «ville verte» inspirera néanmoins en 1958 la création de la ville-satellite verte Zelenograd.

Pour parcourir la terre russe et les immensités sibériennes, et pour répondre aux contraintes de zoning imposées par les industries polluantes, la ville verte peut également prendre la forme d’un flux fonctionnel basé sur le développement du chemin de fer (Nikolaï Milioutine, sociologue) ou d’une trame modulaire verte (Ivan Leonidov, architecte). La ville linéaire est en osmose avec deux styles de vie, rural et urbain, programmés ensemble parallèlement à l’artère qui lie l’usine et la ferme; elle est conçue tel un ruban sans fin capable d’intégrer la géographie.
Accolée à une ville existante, la ville linéaire ouvre des perspective d’extension de la capitale: une Moscou parabolique est imaginée en 1930 par Nikolaï Ladovski, architecte. Cette structure rejette les zones industrielles en périphérie pour organiser un centre résidentiel vert réparti de part et d’autre d’un axe monumental, prolongé depuis le centre et orienté vers Leningrad.

En 1931, la création du parc Izmailovski sur 15 km², soit six fois Central Park à New York, affirme l’intention de Moscou de devenir une métropole verte.

En 1935, un second schéma directeur de Moscou ordonne la déconcentration des industries et des habitants. Le système radioconcentrique est valorisé par la création d’une immense ceinture verte, composée de forêts et de parcs, qui formera la frontière de la ville, tout en procédant à des incursions dans les zones urbaines.

Après les projets staliniens monumentaux de l’après-guerre, une nouvelle mise en valeur du paysage voit le jour dans les années 1960. Avec la planification par quartier, les projets d’aménagement sont déterminés par la géographie et un contraste fort entre la géométrie industrielle des immeubles de 5 à 9 niveaux et les formes naturelles des sites.


Moscou, «Le parc Sans Souci», Parc Gorki © Antoine Castaigne 2008

Les villes vertes satellites

A 37 km au nord-est du centre de Moscou, en 1958, la ville satellite Zelenograd («ville verte») est conçue pour loger 80.000 habitants avec un emploi sur place dans le secteur de la recherche micro-électronique et informatique. La forêt représente un tiers du territoire urbain qui est traversé par deux rivières et des écrans de verdure qui abritent les immeubles de 9 à 17 étages. Interdite aux non-résidents jusqu’en 1991, la ville compte aujourd’hui plus de 200.000 habitants.
A la même époque, une ville verte voit le jour entre 1957 et 1966 à 25 km au sud-est de Novossibirsk: Akademgorodok. Ce technopôle de recherche scientifique, chargé du développement des régions orientales de l’Union, s’organise selon 3 zones: la zone de loisir au bord d’un lac artificiel, une zone résidentielle sur un plateau forestier et la zone des instituts de recherche au-delà d’un large écran végétal. Tapies dans une épaisse forêt préservée qui occupe la moitié d’un territoire de 1.350 ha, les résidences de 4 à 5 niveaux sont implantées dans des clairières pré-existantes afin de préserver les arbres. La ville peut être parcourue à pied par des bandes de forêt transformées en parcs et boulevards.

A Moscou, une donnée essentielle pour l’établissement du schéma directeur de 1971 est l’établissement d’une ceinture de forêts au-delà de l’autoroute circulaire en service depuis 1961. Elle devra empêcher les zones résidentielles de s’étendre et devenir un lien organique entre le paysage urbain et le milieu naturel.
Pour créer un système polycentrique en étoile, Moscou sera par ailleurs fragmentée en 8 zones: le centre et sept zones satellites d’urbanisation entourées de zones vertes venant de la ceinture des forêts. Enfin, les quartiers démolis cèderont la place à des espaces verts.
Les années 1970 ouvrent ainsi des perspectives plus contextuelles vers des quartiers climatiques inscrits dans le paysage naturel préexistant. La préfabrication des éléments de construction et la standardisation ouverte, permettent une optimisation des chantiers en termes de qualité et d’insertion des constructions dans l’environnement. Le quartier de Yassenevo, au sud de Moscou (700 ha, 220.000 habitants), avec ses immeubles-rubans conçus comme des écrans protégeant les intérieurs du quartier contre le bruit et le vent, en est un des exemples les plus probants.

Une structure fragilisée

Malgré ce contexte, les pollutions aquatiques et atmosphériques demeurent un problème majeur pour Moscou. La mixité des essences, les feuillages des peupliers et les bouleaux magiques ne suffisent plus à purifier l’air en été, saturé par les nuages de poussières, et par les rejets des Géants industriels d’un autre âge.

Les écosystèmes moscovites sont frêles et menacés. Avec la mutation du parc automobile et l’arrivée des centres commerciaux le long de la MKAD, la ville est totalement paralysée par les embouteillages. Les assauts des investisseurs et promoteurs bouchent peu à peu chaque espace libre non construit. L’instauration de limites de parcelles, de titres de propriétés, et de parkings privés dans des lieux auparavant dédiés à un espace public généreux donnent parfois même aujourd’hui au piéton moscovite l’impression d’être à l’étroit.
Par ailleurs, au-delà de l’anneau autoroutier, l’implantation anarchique decottages et d’opulentes datchas mitent désormais le couvert forestier. Si jadis la MKAD contenait la ville, il est évident que Moscou a transgressé sa frontière pour tailler des clairières urbaines dans la ceinture de forêts.

La taïga urbaine

En 1983, le premier parc national de Russie est fondé à Moscou en bordure du parc Sokolniki. Losiny Ostrov («Ile aux élans») permet à la ceinture des forêts une incursion urbaine sur plus d’un tiers de ses 116 km². La forêt vierge au cœur de la ville est pratiquée des hommes, des oiseaux, mais aussi des cervidés qui, grâce aux écoducs peuvent franchir la MKAD. Cette possible immersion de l’homme des villes dans la nature sauvage pose les bases du concept de la taïga urbaine.
Autre exemple, lorsque que la ligne 6 du métro a atteint l’orée du domaine Bitsevski, la sortie du métro a obtenu un caractère magique: il suffit de pousser la porte pour être «téléporté» dans la forêt.
Dans les parcs et jardins, combien de silhouettes vagabondent à pied, partent à la cueillette de baies et champignons, à la pêche, en pique-nique, glissent à ski ou en patins sur les étangs gelés, dansent, cassent la glace, plongent… disparaissent. Lorsque la nature efface les traces de l’urbanité, parmi les futaies majestueuses c'est peut-être là que se réfugie la culture russe, en perpétuelle quête de liberté naturelle.

Les nouvelles villes vertes expérimentales, financées par des consortiums privés[3], se construisent, elles, actuellement dans la taïga sibérienne. Akademia future ville satellite de Ekaterinbourg, dédiée à la recherche médicale avec 350.000 habitants, est édifiée en pleine forêt et autour d’un grand parc de 65 ha. On peut également évoquer deux nouvelles villes-jardins projetées aux environs de Tcheliabinsk dans l’Oural: Gorod-sad, la «ville-jardin», réserve 40% de son territoire de 1.100 ha à la forêt; Sunny Valley, «nouvelle étoile écologique et économique», sera construite en quatre phases jusqu’en 2024 sur un territoire de 2.500 ha pouvant accueillir 120.000 personnes...
[1] Moskovskaïa Koltsevaïa Avtomobilnaïa Doroga. Autoroute circulaire périphérique de Moscou, d’une circonférence de 109 km, achevée en 1961 avec 4 voies, elle a été élargie à 10 voies à partir de 1995. La MKAD servit de frontière administrative de Moscou jusqu’en 1980.
[2] Andreï IKONNIKOV, L’architecture russe de la période soviétique, Pierre Mardaga Editeur, 1990.
[3] Voir http://renovasg.com/ 

*Architecte DPLG, concepteur d’architectures écologiques, fasciné par les territoires et l’espace public, passionné par les bains de vapeur russes. Site: www.banya.fr

Vignette: Moscou, district de Khimki, © Antoine Castaigne 2002.

 

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8 août 2008

L'écorce sous la terre - Intro

Lettre_de_Jisnomir___Mikoula__XIe_XIIe_si_cle

Березо - Origine sanscrite [BURGHA] " ce sur quoi on peut écrire". 

La terre russe... si immensément indéfinissable... Trop vaste, ce territoire ne peut être approché par une cartographie de notre conscience. Alors, comment conter l'étendue de ses plaines, décrire la profondeur de ses forêts et la beauté de ses marais, évoquer les traces du passage des hommes ? Je puise l'énergie pour écrire ses lignes dans ses forêts de bouleaux qui parfois en hiver prennent des allures prophétiques de codes barres tri-dimensionnels. Ces arbres tigrés inspirent des activités futures; déroulent leurs écorces (бересте) utiles pour allumer un feu, conter quelque chronique. Ces sources sur quoi écrire, (documents sur écorces de bouleaux - берестяные грамоты), ] tapie dans l'épaisseur stratigraphique des sols, traversent les âges et transmettent d'étonnants messages à déchiffrer pour se plonger dans la russie médiévale des chroniques russes. Alors, il nous faut creuser et enfouir une mémoire sur un support de notre temps.

Je m'interroge. Nos parchemins électroniques mis en ligne autour de la terre, traverseront-ils les siècles? Innombrables, auront-ils  la valeur des chroniques des temps anciens, gravés à l'os sur des rouleaux d'écorces ? Il me semble qu'écrire sur l'hypertexte internet, c'est aussi cacher un message endormi dans les profondeurs du réseau.

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Approche - Dos de couverture.

La terre russe reste soumise à de multiples phénomènes climatiques et technologiques. A l'image d' un apparat qui fabrique le précieux samogon, cet essai énigmatique et expérimental, distille au goutte à goutte , une vision alternative d'une Russie hors du temps. 

En pleine errance, au gré des verstes englouties, au travers des bois, entre les tréfonds et les lumières de la ville, des fragments de matières métamorphes seront glanées. Enfin, l'immersion se voudra totale, dans la vapeur des étuves (banya) et au fond des verres d'hydromel, de kvas et de vodka.

Zemlya

7 juillet 2007

Beautés polaires

*

6 juin 2006

D'une étuve à l'autre

...

5 mai 2005

Le goût du dégel

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4 avril 2004

Lumineuses Gravitations

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21 décembre 2001

Tetrad 1

 

15h00 Heure de Moscou. Cheremetevio. 


23 Décembre 2001

Je décide de rejoindre le centre à pied, pour parcourir et m'exposer à des distances hallucinées. C'est une expérience nécessaire à la construction d'un rapport intime à l'immensité. Je quitte Leninskii Propekt, appelé par un petit monastère et en arrière plan la structure fascinante de la tour des radios détachée dans le ciel gris. Cette construction métallique constitue pour moi un premier repère urbain. Je découvrir un quartier "intérieur", calme, traversé par une ligne de tramway. Les rails me guident jusqu'au dépôt. Le soleil fait de timides apparitions. Il fait très froid. Même les corneaux ont l'air mal en point. Pourtant, dans le vent glacial et la neige, des oisillons chantent. Passage souterrain sous la perspective Lénine. Souffles poétiques et vent libertaire dans la russie de 2001. Une heure après avoir quitté la komnata 201, je m'engage sur Bolchaya Yakimanka. L'oeil traverve une vitrine soviétique, pour contempler des lampes parées de magnifiques verres colorés, puis remonte vers un pan de toiture d'un monastère, pavé de losanges aux couleurs chaudes. La marche vers le centre se poursuit, sur la neige qui recouvre tout. Une sensation étrange, douce et agréable que de marcher sur ce tapis à l'état changeant. Le sol de la ville est invisible, se cache. Parfois, il émerge, retrouvé grâce aux efforts d'une personne attentionnée, peinant dans la froidure, pour briser la glacer, repousser la neige. Toute cette neige introduit la proprété et la pureté dans la métropole du nord. Quand viendra le temps du printemps, ce sol réapparaîtra, par résurgence progressive (le pas naviguera à plus basse altitude). Revêtu de son manteau blanc, le territoire est là, imposant une étourdissante présence secrète. 

Les silhouettes du kremlin se profilent à l'horizon. Je franchis la moskova par un pont piéton pour poser le pied sur une île centrale prise dans les glaces. Je cherche quelque peu mon chemin et aborde la place rouge (Krasnaya Ploshad) par le sud, sous le soleil, par une très belle lumière. Un mouvement du sol accompagne vers l'entrée de la place (souplesse de la ligne sur une coupe longitudinale). Le coeur de l'union soviétique, de la russie, de la structure de Moscou. Aujourd'hui ce centre est vide, clos par des barrières mobiles. Impossible d'aller plus loin pour s'enfoncer dans la pronde épaisseur de la place. Des moscovites à fourrure, frustrés de ne pouvoir errer au delà de l'objectif, ralent envers quelques miliciens congelés. Je me réfugie au Goum, le visage tétanisé par le froid. Un papillon bleu déploie ses ailes légères dans les galeries. Pause au Rostiks avec un Tchaï Standart. Le corps réchauffé, je quitte le grand magasin soviétique; la place rouge a retrouvé sa liberté naturelle. J'arpente par deux fois l'espace dans sa longueur : 500 pas seront nécessaires pour rallier Basile-le-bienheureux aux portes de la place du Manège.

Les vitres d'une boutique sont ornées d'énormes fleurs de givre. Après une courte promenade sur la ceinture des boulevards (la partie centrale est réservée aux piétons), je rejoins les tréfonds de Moscou à la station Loubianka, pour rejoindre Leninskii Prospekt par Kitaï Gorod. 



23 Decembre 2001

Oleg me dit qu'il est possible de louer des skis de fond (station VDNKH). Des pistes parcourent les forêts autour de Moscou ainsi que les grands parcs urbains. Des sculptures de glace sont organisées ce week end dans le parc d'Izmaïl. Moscou était ceinte de 3 remparts : celui de Kitaï Gorod , celui de Bieli Gorod , celui de Zemlya Goroda . Une bibliothèque à la maison des architectes de Moscou. Les enfants glissent sur des traineaux d'acier. 


25 Decembre 2001

Galerie Tretiakov, exposition Iakov Tchernikov. Gouaches pour créer des volumes  colorés lumineux et translucides. Visons de Iakov, des couleurs surgies des profondeurs des océans et des continents. Miniatures. 4° étage, une galerie présente des Kandinsky. Puis apparaît soudainement le Carré noir sur fond blanc de Kazimir Malévitch. Une peinture qui prend aux tripes. Conservée sous verre avec quelques craquelures, c'est un objet venu d'un autre espace temps. Ubik. Cette icône du XX° est très mystérieuse, elle appelle les profondeurs de la terre noire (tchernoziom). 


26 Décembre 2001

Moscou, étudier son réseau piéton. Comment s'y déplace t-on ? en hiver, en été, en automne et au printemps. En métro, à pied, à ski, en traîneau. Etude de l'état du sol, de quelques places. Oleg me parle du vieil Arbat. Sur la grille du territoire, un réseau de lieux, sur un fragment de la ville. Etablir une relation entre l'échelle de la structure métropolitaine et l'échelle du design. Zamicel - la pensée. 

En prenant le thé dans le bureau d'Oleg (Le dekannat), le directeur des projets de 6°année évoque une excursion dans les fabriques de bonbons. Sur la table, un gros bonbon avec l'ours Michka. 

Je me rends ensuite à l'agence Tchernikhov. Je sors de la station vodnie stadion, et traverse le grand marché entre les 2 bouches du métro. Sur la Leningradskoye shosse, je trouve le bloc n°64.1. Le n°64.B3 est planqué au calme à l'intérieur de "l'îlot". Je découvre un projet à l'ouest de Moscou, entre MKAD et la Moscova, territoire à l'extérieur de la ville, pour les ministères de l'OBLAST de Moscou. L'espace public s'étend sur plus de 3km de longueur par 2km de largeur. 


27 Décembre 2001

Discussion avec Oleg sur les esquisses, intentions primaires et représentations à la main libre. On peut construire avec ses mains, pas avec des ordinateurs.  Pour comprendre l'organisation d'une ville, il faut connaître le fonctionnement du système des adresses. A moscou, les îlots sont très grands et très épais (parfois plus d'un kilomètre). Il y a un numéro de référence sur l'artère, en lisière, puis en profondeur, une suite interne. Mais parfois, dans le bois sauvage, les plaques ont disparu, ou elles sont dissimulées derrière les taillis de branches noires. Ici, dans un même espace, tous les temps se mélangent : le grand village russe, le kombinat industriel, chaussées et perspectives, la forêt... tout semble mis en mouvement par la structure urbaine cosmique.   


28 Décembre 2001

J'ai 25 ans, Nadia B. dit que c'est un jubilé, pas un anniversaire. La montre offerte par Betty me plait beaucoup. Je n'arrive pas à ouvrir le coffret en plastique et décide de laisser quelques temps, le temps en vitrine, comme un matériau mystérieux. Hier, hallucination sur un objet trônant dans le dekannat d'Oleg ; il symbolise le temps russe qui coule plus lentement : un sablier-vodka. Cette nuit, une vision le temps du rêve. Des failles spatio-temporelles étaient associées à un réseau d'espaces publics. Ce réseau permettait la télé-transportation à des endroits très précis  (* seuils, portes, plan laser, angles, objets, poteaux... les bouches de métro en sont une sorte de préfiguration).  Dans ce rêve, des personnes apparaissent et disparaissent dans la ville. Je me suis alors souvenu du vieil homme en kilt croisé en écosse en 1999. Venu nous saluer et nous mettre en garde contre des jeunes pouvant parfois rôder la nuit, il avait poursuivit son chemin, marchant assez difficilement avec sa canne. Mais après un laps de temps très court, mais "épais", nous nous sommes retournés, interloqués par ce vieillard qui était désormais en haut de la falaise, immobile et regardant l'horizon. Betty et moi étions intrigué et fasciné par ce déplacement fulgurant...


30 Décembre 2001

Je dessine la vue de Moscou que l'on perçoit depuis la chambre. Le dessin m'invite à la marche et je pars en promenade dans le quartier, autour de la statue élancée du cosmonaute Youri Gagarine (en titane SVP). Je flâne tranquillement à contempler les arbres, les flocons de neige qui tombent, et les immeubles résidentiels en briques, avec leurs bow-windows. Certains appartements sont éclairés par des lumières chaudes, un abat-jour comme une orange de feu. Dans les intérieurs domestiques, il y a une grande attention aux objets. Les plantes vertes ont été rentrées pour l'hiver, à l'abri derrière la 2° fenêtre (il faut dire que la neige pénètre souvent entre les deux plans vitrés. Ensevelis, je découvre un banc et une poubelle, mobilier qui attend son heure. Plus loin, un gant de laine dans un arbre. Dans un îlot, j'enjambe deux conduites de chauffage par une passerelle faite de fers à béton. Accroché à un arbre, des câbles métalliques faisant office de balançoire dans  le vide. Quelques mètres plus loin, c'est une placette carrée avec trois bancs dans un petit bois. Retour sur la place Gagarine. Je décide d'aller voir de plus près l'étrange bâtiment des sciences avec sa superstructure métallique, mystérieuse... au-delà du réseau de cours (inspirées du monastère Andreievski - XVI° siècle), un vaste promontoire qui ouvre un panorama fantastique. La moscova coule à mes pieds avec un monastère au premier plan. Sur la gauche Loujniki avec le complexe sportif des jeux olympiques de 1980 et la colline de l'université, avec son tremplin de saut à ski ! Sur la droite le regard remonte le cours de la rivière vers les plaines grisonnantes du centre, les fumées d'usine et un des gratte ciels stalinien (il y en a 7 au total). Je rebrousse chemin vers la porte de Kalouga avec ses immeubles d'habitations de 7 étages gardées par 2 tours (Soljenitsine y aurait travaillé à poser du parquet pendant ses années de goulag). Avant de franchir par le souterrain la perspective Lénine (Leninski Prospekt) longue de 41 km, je remarque côté nord, un bois avec sur le chemin une paire de ski de fond. Glisse et déplacements dans Moscou.  


31 Décembre

Tverskoye boulevard. Maison rouge dans l'Arbat. Novoi Arbat, infernale, un vent puissant et continu y souffle (le bouran venu du nord), transportant avec lui un cortège de cristaux de neige glacée. Quasi personne pour admirer les enseignes lumineuses plus magiques les unes que les autres, qui clignotent dans tous les sens et sur plusieurs plans. Tréfond sud du nouvel Arbat : terrains vagues, no man's land immenses, rupture brutale dans le quartier en terme d'échelle et de continuité. Peu après, congelé, je reprend le métro circulaire à Kievskaya pour Oktiabrskaya. Ces stations révelent de petites merveilles cachées sous la terre, des palais secrets, enfouis par le régime soviétique. 

24h à Tiopli Stan 

Pour le passe en 2002, je répond à l'invitation de Vera Vassilna. M° 6. Ligne directe, 7° arrêt depuis L.Prospekt. En remontant à la surface, la neige tombe à gros flocons. D'abord s'orienter et trouver ulista T.Stan... Fausse route après 200m, le désert blanc et des ZILs bleus qui ronronnent prêts à passer la nuit dans le froid. Une femme m'indique enfin la bonne direction. Je longe la rue en question avec sur la gauche la grande cité dortoir des banlieues sud. Je dois me rendre D25K6KB84, et je ne suis qu'au pied de la barre-maison n°1. Après 20 minutes de marche, j'arrive au n°21 et ensuite plus rien, le vide et c'est une autre "rue" qui commence. Mince ! Je tente de me renseigner, mais apparemment, les gens savent toute juste trouver leur chemin pour rentrer chez eux. J'erre ainsi une heure durant dans Tioplii stan, banlieue sud de Moscou, complexe de maison d'habitation du Mikroraïon n°6. Finalement, je revins sur ma première intuition, retrouve la rue, la longe et un peu plus loin tombe sur le 23.1, puis le 25.1. Il ne me reste plus qu'à m'enfoncer dans les profondeurs du quartier pour rallier le 25.6. Enfin, je l'ai trouvé. L'adresse exacte Dom 25, Korpus 6, KB 84. Je localise la bonne cage d'escalier et étudie le digicode des soviets. En décryptant quelques informations, il suffit de composer le n° de l'appartement : 84, biiip... on me réponds et la porte s'ouvre. Dans le hall, une concierge dans un bocal, puis au fond du couloir, 2 cages d'ascenceur. J'emprunte celle de gauche, car visiblement celle de droite semble être en panne. Kvartira 84, 8° étage ? Raté, c'était le 6°... Mais avant, j'explore le 4°, le 7°, le 5° et enfin... j'entre dans l'appartement de Vera. Son fils m'accueille et nous regardons un album photo de Paris et des îles Canaries. Je tente de reconstituer le plan de l'appartement , remarquablement conçu selon les critère de la préfabrication. Parquet de bois massif, dallage de pierres noires pour les sols (surbaissés dans les pièces d'eau ), murs bétons, papiers peints, balcon au nord, systèmes de doubles fenêtres au sud, avec vue imprenable sur MKAD et la ceinture des forêts. La forêt est ici majesteuse, immense et profonde comme la mer. Vera et Sergeï en parle avec respect et fascination. "les oiseaux, les fleurs, les promenades avec kiel, le setter irlandais, les shashliks party...". Dans l'appartement, Vera et Sergeï ont reconstitué la forêt en miniature. Nature fragile, soignée pendant les longs mois d'hiver, les plantes ont pris leurs aisances au sud derrière les fenêtres de la cuisine. Au second plan, les ramures d'un bouleau atteint le 6° niveau (5° étage en occident); au loin, la vaste forêt russe, au-delà du cercle autoroute, qui marque une frontière, un rempart puissant. Cette clarté est en train d'être brouillé par deux problèmes critiques. En premier lieu, l'augmentation du parc automobile (x4 en moins de 10 ans) demande la nécessaire création de parkings consommateurs d'espaces. Ainsi, presque partout, on trouve des boîtes étranges et difformes en tôle rouillée : ce sont les rakoushkas, coquillages éparpillés, comme brassés au fond de quelque océan. Quelques parkings à étage sont également en construction, gros objets morts qui densifie les interstices. Enfin, les novo-russes ont installés leurs immenses datchas au delà du cercle, dans des zones jadis interdites à la construction, saccageant et ravageant le paysage de la futaie.  Le 1er janvier, après le déjeuner, nous partons nous promener dans le bois derrière l'immeuble. La neige, les arbres omniprésents, les sentes minuscules confèrent aux lieux une atmosphère magique. Nous irons jusqu'au passage (pererod) pour franchir le cercle frontière puis reviendrons sur nos pas, par d'autres traces. Kiel bondi à la surface de la neige, heureux. Retour parmi les coquillages, puis Vera me fait traverser le quartier et m'explique les différentes phases de construction du quartier. Les dernières tranches de travaux terminées dans les années 80 sont spécialement glauques à souhait. Aujourd'hui, le sol est jonché de papiers et de résidus des feux d'artifices et autres tonnes de pétards qui ont explosés une bonne partie de la nuit. Cette désolation traduit en effet les vestiges d'une nuit d'âpres combats. Nous attendons Inna, une amie à l'arrêt de bus, puis regagnons le KB84 pour la suite des festivités. Tout le monde parle d'une fête dans la forêt et Sergeï sort une vidéo réalisée l'an dernier... un truc indescriptible, avec des gens partout au beau milieu d'une clairière, qui creusent des trous dans la neige, allument des feux de bois pour cuire on ne sait trop quoi. Il y avait dans ces images quelque chose d'irréel, quasi fictif, comme si chaque être était comme guidé par les esprits de la forêt. Des trognes pas possibles, des sorcières loqueteuses, des lascars munis de masques à gaz...

 

1 janvier 1998

Les pipelines de vodka

Vodka_Ivresse_des_profondeurs

Courrier International N°934 - p67 - Du 25 Septembre au 1er Octobre 2008

La Russie n’exporte pas que du pétrole. Onze personnes accusées d’avoir construit un pipeline à vodka de 1,6 km à la frontière russo-estonienne ont été déférées devant la justice estonienne. Quelque 6 200 litres d’alcool distillé illégalement auraient transité par cet assemblage de tubes de plastique installé entre les villes de Narva, en Estonie, et d’Ivangorod, en Russie. Les prévenus russes et estoniens auraient ainsi économisé 900 000 couronnes estoniennes (quelque 57 000 euros) de taxes. Depuis que l’Estonie a rejoint l’Union européenne, en 2004, la vodka y est devenue beaucoup plus chère : les bouteilles y coûtent trois fois plus que de l’autre côté de la frontière. Les buveurs estoniens ont beau être habitués aux tord-boyaux, les contrebandiers, arrêtés en 2004, ont eu bien du mal à écouler leur stock. Jugée imbuvable à Tallinn, leur vodka a finalement trouvé preneur dans une ville universitaire, Tartu. Les suspects encourent cinq ans de prison. Une sanction qui ne décourage pas les trafiquants. En 2006, un pipeline encore plus long – 2,5 km – avait été découvert en Estonie. La vodka de contrebande cause de sérieux problèmes de santé dans les Etats baltes : en 2001, rappelle The Times, 67 personnes sont mortes après avoir bu de l’alcool frelaté au méthanol. Les contrebandiers estoniens ne sont pas des pionniers en matière d’alcooloduc : en 2004, l’on a dé­couvert un pipeline de 3 kilomètres servant à acheminer de la vodka entre la Biélorussie et la Lituanie, rappelle le journal en ligne Iantarnyi Kraï. [Янтарный Край - газета Online Калининград]

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