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Zemlya - земля
21 décembre 2001

Tetrad 1

 

15h00 Heure de Moscou. Cheremetevio. 


23 Décembre 2001

Je décide de rejoindre le centre à pied, pour parcourir et m'exposer à des distances hallucinées. C'est une expérience nécessaire à la construction d'un rapport intime à l'immensité. Je quitte Leninskii Propekt, appelé par un petit monastère et en arrière plan la structure fascinante de la tour des radios détachée dans le ciel gris. Cette construction métallique constitue pour moi un premier repère urbain. Je découvrir un quartier "intérieur", calme, traversé par une ligne de tramway. Les rails me guident jusqu'au dépôt. Le soleil fait de timides apparitions. Il fait très froid. Même les corneaux ont l'air mal en point. Pourtant, dans le vent glacial et la neige, des oisillons chantent. Passage souterrain sous la perspective Lénine. Souffles poétiques et vent libertaire dans la russie de 2001. Une heure après avoir quitté la komnata 201, je m'engage sur Bolchaya Yakimanka. L'oeil traverve une vitrine soviétique, pour contempler des lampes parées de magnifiques verres colorés, puis remonte vers un pan de toiture d'un monastère, pavé de losanges aux couleurs chaudes. La marche vers le centre se poursuit, sur la neige qui recouvre tout. Une sensation étrange, douce et agréable que de marcher sur ce tapis à l'état changeant. Le sol de la ville est invisible, se cache. Parfois, il émerge, retrouvé grâce aux efforts d'une personne attentionnée, peinant dans la froidure, pour briser la glacer, repousser la neige. Toute cette neige introduit la proprété et la pureté dans la métropole du nord. Quand viendra le temps du printemps, ce sol réapparaîtra, par résurgence progressive (le pas naviguera à plus basse altitude). Revêtu de son manteau blanc, le territoire est là, imposant une étourdissante présence secrète. 

Les silhouettes du kremlin se profilent à l'horizon. Je franchis la moskova par un pont piéton pour poser le pied sur une île centrale prise dans les glaces. Je cherche quelque peu mon chemin et aborde la place rouge (Krasnaya Ploshad) par le sud, sous le soleil, par une très belle lumière. Un mouvement du sol accompagne vers l'entrée de la place (souplesse de la ligne sur une coupe longitudinale). Le coeur de l'union soviétique, de la russie, de la structure de Moscou. Aujourd'hui ce centre est vide, clos par des barrières mobiles. Impossible d'aller plus loin pour s'enfoncer dans la pronde épaisseur de la place. Des moscovites à fourrure, frustrés de ne pouvoir errer au delà de l'objectif, ralent envers quelques miliciens congelés. Je me réfugie au Goum, le visage tétanisé par le froid. Un papillon bleu déploie ses ailes légères dans les galeries. Pause au Rostiks avec un Tchaï Standart. Le corps réchauffé, je quitte le grand magasin soviétique; la place rouge a retrouvé sa liberté naturelle. J'arpente par deux fois l'espace dans sa longueur : 500 pas seront nécessaires pour rallier Basile-le-bienheureux aux portes de la place du Manège.

Les vitres d'une boutique sont ornées d'énormes fleurs de givre. Après une courte promenade sur la ceinture des boulevards (la partie centrale est réservée aux piétons), je rejoins les tréfonds de Moscou à la station Loubianka, pour rejoindre Leninskii Prospekt par Kitaï Gorod. 



23 Decembre 2001

Oleg me dit qu'il est possible de louer des skis de fond (station VDNKH). Des pistes parcourent les forêts autour de Moscou ainsi que les grands parcs urbains. Des sculptures de glace sont organisées ce week end dans le parc d'Izmaïl. Moscou était ceinte de 3 remparts : celui de Kitaï Gorod , celui de Bieli Gorod , celui de Zemlya Goroda . Une bibliothèque à la maison des architectes de Moscou. Les enfants glissent sur des traineaux d'acier. 


25 Decembre 2001

Galerie Tretiakov, exposition Iakov Tchernikov. Gouaches pour créer des volumes  colorés lumineux et translucides. Visons de Iakov, des couleurs surgies des profondeurs des océans et des continents. Miniatures. 4° étage, une galerie présente des Kandinsky. Puis apparaît soudainement le Carré noir sur fond blanc de Kazimir Malévitch. Une peinture qui prend aux tripes. Conservée sous verre avec quelques craquelures, c'est un objet venu d'un autre espace temps. Ubik. Cette icône du XX° est très mystérieuse, elle appelle les profondeurs de la terre noire (tchernoziom). 


26 Décembre 2001

Moscou, étudier son réseau piéton. Comment s'y déplace t-on ? en hiver, en été, en automne et au printemps. En métro, à pied, à ski, en traîneau. Etude de l'état du sol, de quelques places. Oleg me parle du vieil Arbat. Sur la grille du territoire, un réseau de lieux, sur un fragment de la ville. Etablir une relation entre l'échelle de la structure métropolitaine et l'échelle du design. Zamicel - la pensée. 

En prenant le thé dans le bureau d'Oleg (Le dekannat), le directeur des projets de 6°année évoque une excursion dans les fabriques de bonbons. Sur la table, un gros bonbon avec l'ours Michka. 

Je me rends ensuite à l'agence Tchernikhov. Je sors de la station vodnie stadion, et traverse le grand marché entre les 2 bouches du métro. Sur la Leningradskoye shosse, je trouve le bloc n°64.1. Le n°64.B3 est planqué au calme à l'intérieur de "l'îlot". Je découvre un projet à l'ouest de Moscou, entre MKAD et la Moscova, territoire à l'extérieur de la ville, pour les ministères de l'OBLAST de Moscou. L'espace public s'étend sur plus de 3km de longueur par 2km de largeur. 


27 Décembre 2001

Discussion avec Oleg sur les esquisses, intentions primaires et représentations à la main libre. On peut construire avec ses mains, pas avec des ordinateurs.  Pour comprendre l'organisation d'une ville, il faut connaître le fonctionnement du système des adresses. A moscou, les îlots sont très grands et très épais (parfois plus d'un kilomètre). Il y a un numéro de référence sur l'artère, en lisière, puis en profondeur, une suite interne. Mais parfois, dans le bois sauvage, les plaques ont disparu, ou elles sont dissimulées derrière les taillis de branches noires. Ici, dans un même espace, tous les temps se mélangent : le grand village russe, le kombinat industriel, chaussées et perspectives, la forêt... tout semble mis en mouvement par la structure urbaine cosmique.   


28 Décembre 2001

J'ai 25 ans, Nadia B. dit que c'est un jubilé, pas un anniversaire. La montre offerte par Betty me plait beaucoup. Je n'arrive pas à ouvrir le coffret en plastique et décide de laisser quelques temps, le temps en vitrine, comme un matériau mystérieux. Hier, hallucination sur un objet trônant dans le dekannat d'Oleg ; il symbolise le temps russe qui coule plus lentement : un sablier-vodka. Cette nuit, une vision le temps du rêve. Des failles spatio-temporelles étaient associées à un réseau d'espaces publics. Ce réseau permettait la télé-transportation à des endroits très précis  (* seuils, portes, plan laser, angles, objets, poteaux... les bouches de métro en sont une sorte de préfiguration).  Dans ce rêve, des personnes apparaissent et disparaissent dans la ville. Je me suis alors souvenu du vieil homme en kilt croisé en écosse en 1999. Venu nous saluer et nous mettre en garde contre des jeunes pouvant parfois rôder la nuit, il avait poursuivit son chemin, marchant assez difficilement avec sa canne. Mais après un laps de temps très court, mais "épais", nous nous sommes retournés, interloqués par ce vieillard qui était désormais en haut de la falaise, immobile et regardant l'horizon. Betty et moi étions intrigué et fasciné par ce déplacement fulgurant...


30 Décembre 2001

Je dessine la vue de Moscou que l'on perçoit depuis la chambre. Le dessin m'invite à la marche et je pars en promenade dans le quartier, autour de la statue élancée du cosmonaute Youri Gagarine (en titane SVP). Je flâne tranquillement à contempler les arbres, les flocons de neige qui tombent, et les immeubles résidentiels en briques, avec leurs bow-windows. Certains appartements sont éclairés par des lumières chaudes, un abat-jour comme une orange de feu. Dans les intérieurs domestiques, il y a une grande attention aux objets. Les plantes vertes ont été rentrées pour l'hiver, à l'abri derrière la 2° fenêtre (il faut dire que la neige pénètre souvent entre les deux plans vitrés. Ensevelis, je découvre un banc et une poubelle, mobilier qui attend son heure. Plus loin, un gant de laine dans un arbre. Dans un îlot, j'enjambe deux conduites de chauffage par une passerelle faite de fers à béton. Accroché à un arbre, des câbles métalliques faisant office de balançoire dans  le vide. Quelques mètres plus loin, c'est une placette carrée avec trois bancs dans un petit bois. Retour sur la place Gagarine. Je décide d'aller voir de plus près l'étrange bâtiment des sciences avec sa superstructure métallique, mystérieuse... au-delà du réseau de cours (inspirées du monastère Andreievski - XVI° siècle), un vaste promontoire qui ouvre un panorama fantastique. La moscova coule à mes pieds avec un monastère au premier plan. Sur la gauche Loujniki avec le complexe sportif des jeux olympiques de 1980 et la colline de l'université, avec son tremplin de saut à ski ! Sur la droite le regard remonte le cours de la rivière vers les plaines grisonnantes du centre, les fumées d'usine et un des gratte ciels stalinien (il y en a 7 au total). Je rebrousse chemin vers la porte de Kalouga avec ses immeubles d'habitations de 7 étages gardées par 2 tours (Soljenitsine y aurait travaillé à poser du parquet pendant ses années de goulag). Avant de franchir par le souterrain la perspective Lénine (Leninski Prospekt) longue de 41 km, je remarque côté nord, un bois avec sur le chemin une paire de ski de fond. Glisse et déplacements dans Moscou.  


31 Décembre

Tverskoye boulevard. Maison rouge dans l'Arbat. Novoi Arbat, infernale, un vent puissant et continu y souffle (le bouran venu du nord), transportant avec lui un cortège de cristaux de neige glacée. Quasi personne pour admirer les enseignes lumineuses plus magiques les unes que les autres, qui clignotent dans tous les sens et sur plusieurs plans. Tréfond sud du nouvel Arbat : terrains vagues, no man's land immenses, rupture brutale dans le quartier en terme d'échelle et de continuité. Peu après, congelé, je reprend le métro circulaire à Kievskaya pour Oktiabrskaya. Ces stations révelent de petites merveilles cachées sous la terre, des palais secrets, enfouis par le régime soviétique. 

24h à Tiopli Stan 

Pour le passe en 2002, je répond à l'invitation de Vera Vassilna. M° 6. Ligne directe, 7° arrêt depuis L.Prospekt. En remontant à la surface, la neige tombe à gros flocons. D'abord s'orienter et trouver ulista T.Stan... Fausse route après 200m, le désert blanc et des ZILs bleus qui ronronnent prêts à passer la nuit dans le froid. Une femme m'indique enfin la bonne direction. Je longe la rue en question avec sur la gauche la grande cité dortoir des banlieues sud. Je dois me rendre D25K6KB84, et je ne suis qu'au pied de la barre-maison n°1. Après 20 minutes de marche, j'arrive au n°21 et ensuite plus rien, le vide et c'est une autre "rue" qui commence. Mince ! Je tente de me renseigner, mais apparemment, les gens savent toute juste trouver leur chemin pour rentrer chez eux. J'erre ainsi une heure durant dans Tioplii stan, banlieue sud de Moscou, complexe de maison d'habitation du Mikroraïon n°6. Finalement, je revins sur ma première intuition, retrouve la rue, la longe et un peu plus loin tombe sur le 23.1, puis le 25.1. Il ne me reste plus qu'à m'enfoncer dans les profondeurs du quartier pour rallier le 25.6. Enfin, je l'ai trouvé. L'adresse exacte Dom 25, Korpus 6, KB 84. Je localise la bonne cage d'escalier et étudie le digicode des soviets. En décryptant quelques informations, il suffit de composer le n° de l'appartement : 84, biiip... on me réponds et la porte s'ouvre. Dans le hall, une concierge dans un bocal, puis au fond du couloir, 2 cages d'ascenceur. J'emprunte celle de gauche, car visiblement celle de droite semble être en panne. Kvartira 84, 8° étage ? Raté, c'était le 6°... Mais avant, j'explore le 4°, le 7°, le 5° et enfin... j'entre dans l'appartement de Vera. Son fils m'accueille et nous regardons un album photo de Paris et des îles Canaries. Je tente de reconstituer le plan de l'appartement , remarquablement conçu selon les critère de la préfabrication. Parquet de bois massif, dallage de pierres noires pour les sols (surbaissés dans les pièces d'eau ), murs bétons, papiers peints, balcon au nord, systèmes de doubles fenêtres au sud, avec vue imprenable sur MKAD et la ceinture des forêts. La forêt est ici majesteuse, immense et profonde comme la mer. Vera et Sergeï en parle avec respect et fascination. "les oiseaux, les fleurs, les promenades avec kiel, le setter irlandais, les shashliks party...". Dans l'appartement, Vera et Sergeï ont reconstitué la forêt en miniature. Nature fragile, soignée pendant les longs mois d'hiver, les plantes ont pris leurs aisances au sud derrière les fenêtres de la cuisine. Au second plan, les ramures d'un bouleau atteint le 6° niveau (5° étage en occident); au loin, la vaste forêt russe, au-delà du cercle autoroute, qui marque une frontière, un rempart puissant. Cette clarté est en train d'être brouillé par deux problèmes critiques. En premier lieu, l'augmentation du parc automobile (x4 en moins de 10 ans) demande la nécessaire création de parkings consommateurs d'espaces. Ainsi, presque partout, on trouve des boîtes étranges et difformes en tôle rouillée : ce sont les rakoushkas, coquillages éparpillés, comme brassés au fond de quelque océan. Quelques parkings à étage sont également en construction, gros objets morts qui densifie les interstices. Enfin, les novo-russes ont installés leurs immenses datchas au delà du cercle, dans des zones jadis interdites à la construction, saccageant et ravageant le paysage de la futaie.  Le 1er janvier, après le déjeuner, nous partons nous promener dans le bois derrière l'immeuble. La neige, les arbres omniprésents, les sentes minuscules confèrent aux lieux une atmosphère magique. Nous irons jusqu'au passage (pererod) pour franchir le cercle frontière puis reviendrons sur nos pas, par d'autres traces. Kiel bondi à la surface de la neige, heureux. Retour parmi les coquillages, puis Vera me fait traverser le quartier et m'explique les différentes phases de construction du quartier. Les dernières tranches de travaux terminées dans les années 80 sont spécialement glauques à souhait. Aujourd'hui, le sol est jonché de papiers et de résidus des feux d'artifices et autres tonnes de pétards qui ont explosés une bonne partie de la nuit. Cette désolation traduit en effet les vestiges d'une nuit d'âpres combats. Nous attendons Inna, une amie à l'arrêt de bus, puis regagnons le KB84 pour la suite des festivités. Tout le monde parle d'une fête dans la forêt et Sergeï sort une vidéo réalisée l'an dernier... un truc indescriptible, avec des gens partout au beau milieu d'une clairière, qui creusent des trous dans la neige, allument des feux de bois pour cuire on ne sait trop quoi. Il y avait dans ces images quelque chose d'irréel, quasi fictif, comme si chaque être était comme guidé par les esprits de la forêt. Des trognes pas possibles, des sorcières loqueteuses, des lascars munis de masques à gaz...

 

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Zemlya - земля
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